Sous les Pavés, la plage

Une aiguille sur le cadran d'une horloge bascula : deux heures vingt. Le renversement d'une table avec le bruit du verre cassé nous fit sursauter. Cette vision apocalyptique nous subjugua un moment. On resta là tous les quatre debout à se regarder sans rien dire. I1 y avait un téléphone. J'ai pris le récepteur et machinalement j'ai composé mon numéro. Ça ne répondait pas - que le tintement régulier de la sonnerie - j'ai raccroché et j'ai dit « Les cons ! Ils ont marché. » J'ai pensé l'espace d'un instant à Martine et aux deux gamins. Annie a dit qu'après une première impression de surprise elle trouvait cela en fait, très beau et qu'il fallait absolument qu'elle fasse des croquis. La gamine n'a rien dit ; elle avait des gestes un peu nerveux parce qu'elle n'avait plus de clopes. Le vieux est resté hagard ; il a fixé les pavés de la rue qui continuaient à se déboîter. J'ai engueulé Annie en disant qu'il fallait se protéger - qu'on n'allait pas moisir ici. Dehors, l'orage devenait tempête. Le vent colportait une poussière blanche qu'il répandait violemment. Annie n'a pas bougé, elle est restée avec ses crayons et sa feuille de papier blanche. J'ai failli la frapper mais je me suis retenu. Je l'ai injuriée. J'ai emmené le vieux et la gamine.

A travers cette tempête de poussière blanche, on a trouvé une ancienne bouche de métro : Censier-Daubenton signalait une vieille pancarte rouillée. On se sentait à l'abri dans ce souterrain malgré de grands panneaux rouges indiquant que le métropolitain ne pouvait assurer une protection anti-nucléaire depuis son arrêt de fonctionnement décidé le 16 juin 2017. J'ai filé une clope à la gamine qui s'est calmée. Et le vieux, qui n'avait rien dit jusqu'ici, s'est mis à parler il avait vécu les révoltes de mai 1968 que j'avais étudiées dans les livres d'histoire. Il me racontait qu’il avait dû se réfugier dans une station de métro un jour où les C.R.S. avaient encerclé le quartier. Il m'a cité des slogans qu'il badigeonnait sur les murs « Il est interdit d'interdire », « Soyez réaliste, demandez l'impossible », « Sous les pavés, la plage », et a ajouté que tout à l'heure il avait eu l'illusion qu'il y avait du sable sous les pavés arrachés par la bise. On a bien dû passer deux ou trois heures dans la station désaffectée, attentifs à toutes les histoires du vieux. Puis la gamine a dit qu'elle en pouvait plus, qu'elle allait sortir. Alors, on est sorti.