Sous les Pavés, la plage

Quand on a eu fini de gravir les marches de l'escalier donnant sur la rue, oh s'est arrêté, figés complètement devant le spectacle qui s'étendait face à nous. Le jour s'était levé et on voyait une immense plage d'où sortait parfois une bâtisse, un amoncellement de vieilles pierres. Aucun cataclysme nucléaire n'avait eu lieu : seulement le sable, et la mer là-bas qui s'avançait : elle roulait bruyamment son écume sur le sable. Cela m'a rappelé la baie du mont Saint-Michel que j'avais vue quand j'étais môme avant la marée noire de 2016 qui l'avait complètement rayée de la carte. On s'est avancé. La gamine a quitté ses chaussures et enfoncé sa trace dans le sable trempé. Des bâtisses mêlant la pierre au sable, on en reconnaissait quelques-unes : le Panthéon, les deux tours de Notre-Dame, la tour Eiffel couchée, avalée par le sable comme l'ancre d'un grand navire échoué. La gamine nous a amenés à une baraque de pêcheur qu'elle avait trouvée. En fait cela devait être un ancien kiosque à journaux rescapé, on ne sait comment, de la tempête. Après s'être baigné, on s'y est séché, et le vieux s'est mis à raconter sa vie. C'était bien. Après on a régardé la' mer. Quand soudain, au moment où l'on s'y attendait le moins, quelqu'un a frappé à la porte. Il est entré. Il a dit « vous n'avez pas France soir ?». J'ai tout de suite compris que tout allait redevenir comme avant. Le vieux a fermé les yeux comme on les ferme pour la dernière fois. Je l'ai entendu murmurer « sous les pavés, la plage », comme une formule magique. La gamine a repris une clope et s'est remise à fumer.

J'ai regardé la mer une nouvelle fois et je n'ai rien dit.

La Mutu - juin-septembre 1982