L’aquarelle

 

IL N'Y PAS DE VICTOIRE SANS COMBAT

Tout aquarelliste ayant travaillé avec Henri comprendra ce que "combat" veut dire.

Il y a d'abord un combat entre l'artiste et l'objet choisi. Soit on est envahi par l'arbre avec tous ses détails, soit on fait un choix dans cet arbre, le choix d'un sujet principal où l'on va faire converger le regard. Cela peut être une couleur, une forme. L'important est de choisir une seule chose, de se tenir à ce choix et d'élaborer la composition du tableau autour de ce sujet.

Il n'est pas utile de tout dire. On est souvent tenté de se laisser séduire par le détail pour "faire du beau", pour s'assurer de la ressemblance. On veut peindre toutes les feuilles d'un arbre, alors qu'en se reculant un peu on s'aperçoit que l'ensemble du feuillage s'inscrit dans une même et grande forme. La simplicité nous arrache de la paresse de la reproduction précise. L'artiste doit suggérer, donner seulement un coup de pouce au cheminement du regard dans la surface du tableau.

Il faut se souvenir des longues explications d'Henri devant une aquarelle où patiemment il montrait toutes les possibilités du chemin du regard. Il suivait du doigt les multiples parcours, ce réseau de trajets qui menait toujours au sujet principal grâce à l'agencement des valeurs, aux choix des couleurs et aux "passages", ces nuances de teinte qui font glisser une forme à une autre sans rupture. Par lui, le regard devenait matériel et tangible.

L'autre aspect du combat est beaucoup plus concret. C'est l'écart qu'il y a entre ce que l'on veut dire et ce que l'on fait concrètement sur le papier. C'est une véritable bataille avec l'eau, la couleur et le temps. L'eau est un moyen très aléatoire - difficile d'en être le maître. Et l'aquarelle ne permet pas l'erreur. Combien de déceptions, d'amertumes parmi nos débuts. On avance lentement dans cette lutte de soi-même avec les éléments : eau et pigments. On progresse sur un fil. À tout moment, la chute peut-être là. On est toujours au bord de l'échec, à deux doigts de tout jeter - une goutte de couleur qui s'échappe de la trajectoire, une tâche impromptue, la couleur qui sèche trop vite, une auréole involontaire qui se forme... Tout est sujet de désespoir.

Cette maîtrise de la technique est comme un art martial. On se confronte à nos limites, à notre manque de confiance en soi. Le sens du combat est à comprendre comme un dépassement de soi-même.

La victoire arrive après. On sort de ce combat, différent, grandi, déjà avide de reprendre le pinceau pour aller encore plus loin. Victorieux de quoi ? Peut-être seulement de cette infime part de la qualité de nous-même que l'on a su mettre en matière à travers l'aquarelle grâce à cette confrontation silencieuse avec la nature. "Un tableau peut me demander ce que je suis, ce que je fais, ce que je dis parmi les hommes." écrivait Henri. Le combat est exigeant. Et il n'y a pas de victoire sans combat.